Dans la plupart des pays, les banques centrales étudient la possibilité de faire circuler une monnaie digitale aux côtés de leur monnaie traditionnelle (sous forme électronique ou de billets). La Banque des Règlements Internationaux (BRI) a également mis en place un groupe de travail sur ce sujet composé de nombreux banquiers centraux issus de différents pays. Mais la Chine semble avoir une longueur d’avance. En effet, suite à la création du bitcoin en 2009, elle a commencé les études pour lancer un yuan digital dès 2014, alors qu’une majorité de responsables monétaires dans le monde ne percevait pas encore la portée technologique, économique et politique du bitcoin.
Selon le Wall Street Journal, un test grandeur nature en Chine est en train d’être réalisé avec plus de 100,000 personnes qui auraient téléchargé l’application de la banque centrale chinoise leur permettant de dépenser des yuans numériques. Alors que les paiements par voies digitales pourraient rapidement devenir la norme, la Chine semble donc encline à saisir cette opportunité technologique au service de sa monnaie et de faire la différence comme elle l’a déjà fait avec la voiture électrique, la 5G, la conduite sans conducteur ou la reconnaissance faciale.
De nombreuses raisons pourraient pousser les gouvernements et banques centrales à émettre des monnaies digitales. Une monnaie digitale aurait les avantages suivants:
accompagner la digitalisation de l’économie et assurer plus facilement une certaine indépendance stratégique face à l’émergence inévitable de stablecoin* comme le LIBRA ou autres devises digitales,
répondre à la baisse inexorable de l’utilisation des billets de banques comme moyen de paiement par les ménages, phénomène accéléré par la crise du COVID,
proposer un moyen de paiement instantané, bon marché, sécurisé au vu de son potentiel d’adoption par l’économie numérisée
limiter les risques actuels de piratage des virements ou cartes électroniques
renforcer le rôle international d’une devise
utiliser un nouveau canal de transmission de la politique monétaire par les banques centrales
abaisser les coûts des moyens de paiement qui pèsent sur l’économie et le consommateur
améliorer l’empreinte carbone et écologique des systèmes monétaires et de paiement
lutter contre les faux monnayeurs
Vu la longue liste des avantages, pourquoi tant de précautions avant de révolutionner les systèmes de paiement ? Tout d’abord, il faut reconnaître le potentiel déstabilisant (disruptif) de cette évolution monétaire si elle est mal contrôlée. Une disparition prématurée de l’utilisation des billets pourrait nuire à l’économie traditionnelle non numérique. Néanmoins, la monnaie digitale permet aussi la traçabilité des transactions, le suivi quasiment en temps réel des transactions par secteur économique. De sorte que les craintes d’une tentation de flicage par un état, même si ce n’est pas l’objectif, ne sont pas infondées. La monnaie digitale est un outil qui permettrait de faciliter une mise sous surveillance ou une remise en cause des libertés individuelles. La confiance dans la monnaie digitale est donc loin d’être acquise et une partie de la population dans les pays occidentaux pourrait reste rétive.
La Chine est soupçonnée de vouloir rattraper son retard en tant que grande devise internationale sur le dollar en donnant une ‘prime numérique’ à sa monnaie avant tout le monde. D’après le dernier classement de la BRI, le dollar reste de loin la devise la plus utilisée dans les transactions internationales dans 88% des échanges commerciaux internationaux contre 4% seulement pour l’utilisation du yuan chinois. En offrant un moyen de recevoir de l’argent ou de payer en yuan aux millions d’Africains qui disposent d’un téléphone portable mais pas de compte bancaire, notamment en Afrique sub-saharienne, la monnaie chinoise pourrait gagner en attractivité et la Chine s’aliéner les flux de capitaux en yuan dans cette partie du monde. L’initiative permettrait aussi de contourner les sanctions économiques américaines qui se matérialisent par l’interdiction d’utiliser le dollar dans les transactions avec les pays boycottés. La liste des pays sanctionnés ou menacés de l’être sous le mandat du Président Trump est longue, ce qui a nourri le désir de s’affranchir du dollar en Chine, à Cuba, en Russie, au Venezuela, en Iran, dans les pays arabes etc. Les États-Unis du président Biden l’ont désormais compris, à la question devant le Sénat américain « est-ce que le dollar pourrait être digitalisé pour défendre sa suprématie », M. Powell, président de la banque centrale américaine, la Réserve Fédérale, a répondu que l’étude de cette question était un projet hautement prioritaire.
En Europe, la présidente de la Banque Centrale Européenne, Christine Lagarde, a récemment communiqué que l’arrivée de l’euro digital pourrait prendre au moins quatre années. Quant à la Suisse, le journal Les Échos a écrit en décembre 2020 que les premiers tests de faisabilité d'un franc numérique réservé aux banques et institutions financières sont encourageants, bien qu’aucune décision n'ait encore été prise par la banque centrale suisse sur son émission.
Les monnaies digitales sont un enjeu majeur de l’attractivité des devises. La Chine est la première à l’avoir compris, mais la compétition internationale sur ce terrain a commencé, et on n’a pas fini d’entendre parler de monnaies digitales.
--------------------
*Un stablecoin est un type de cryptomonnaie dont la valeur est "stable", car basée sur celle d’un autre actif. Les actifs sous-jacents des stablecoins ou jetons sont divers. La plupart est adossée à une monnaie fiduciaire comme le dollar (le Libra de Facebook), l’euro ou le yen. D’autres, plus exotiques, se basent sur des matières premières ou d’autres actifs. Comme ces jetons suivent la valeur d’autres actifs, ils sont théoriquement plus stables que les autres cryptomonnaies (d’où leur nom stablecoin), à la différence du bitcoin ou autres cryptoactifs qui ne sont rattachés à aucun actif ou monnaie sous-jacente et dont la valeur peut fluctuer de façon plus importante.
Article invité rédigé par Etienne @ EPA Finconsult, 14 avril 2021
Pour réagir à cet article, n'hésitez pas à contacter epa.finconsult(at)gmail.com
Comments