La Banque Nationale Suisse (BNS) vient de publier le montant encore provisoire de ses profits en 2020, 21 milliards de francs, en recul par rapport au profit de 48,9 milliards de francs en 2019.
Comment faut-il comprendre cette baisse des profits ? Selon la BNS, l’essentiel de ses profits soit 13 milliards de francs (62%) sont des gains réalisés sur les positions en monnaies étrangères. Le stock d’or a généré une plus-value de 7 milliards de francs (33%). Quant aux positions en francs, elles ont affiché un bénéfice d’un peu plus de 1 milliard de francs (5%).
Il s’avère donc que durant l’année écoulée, 95% des profits proviennent d’éléments volatiles tels que les positions en devises étrangères et en or. Le résultat de la BNS dépend principalement de l’évolution des marchés de l’or, des changes et des capitaux. Il faut donc s’attendre à de très fortes fluctuations des résultats annuels. En l’occurrence, le franc s’est renforcé en 2020 contre la plupart des monnaies étrangères, ce qui devrait générer des pertes de change estimées à 40 milliards de francs pour 2020, un montant plus élevé qu'en qu'en 2019 (18 milliards de francs). Cependant, les plus-values et les revenus tirés des marchés de capitaux et de l’or en 2020, estimés à 61 milliards de francs, semblent compenser les pertes de change, comme en 2019, ce qui permet à la BNS de dégager un profit en 2020. Le rapport de gestion de la BNS pour 2020 publié le 22 mars 2021 en donnera les détails.
La position de la BNS en devises étrangères est importante en proportion de son bilan et du PIB suisse. Les statistiques de la BNS font apparaître qu’environ 92% de son bilan est composé de devises étrangères en 2020 contre 80% il y a 10 ans. L’exposition au risque de change est donc significative. Le graphique 1 indique que les réserves en monnaies étrangères de la BNS ont augmenté rapidement et gagnent en importance puisqu’elles représentent environ l'équivalent de 120% du PIB de la Suisse en 2020.
Comment la BNS en est-elle arrivée là ? C’est le reflet de la politique de change qui est une contrainte majeure pour la BNS. En effet, l'économie suisse subit les effets négatifs de la hausse du franc par rapport à l’euro, ce qui place les exportateurs suisses en position défavorable par rapport à leurs voisins en zone euro, qui évoluent dans un environnement de change stable, et avec qui la majeure partie des échanges commerciaux est conclue. La stabilité du taux de change entre l’euro et le franc est donc primordiale et elle est même devenue la pierre angulaire de la politique monétaire de la BNS.
Graphique 1 : Réserves en monnaies étrangères de la Banque Nationale Suisse en proportion du PIB
Sources : BNS, SECO, calcul EPA Finconsult
La BNS tente par tous les moyens de contenir la hausse structurelle du franc par rapport à l’euro pour assurer la stabilité du taux de change avec la zone euro, son principal partenaire commercial. La BNS y consacre des moyens importants en intervenant sur le marché des changes. Elle vend massivement des francs surtout contre euros, ce qui se mesure par l’augmentation des positions de change année après année dans le bilan de la BNS. Elle a acheté des montants substantiels de devises étrangères en 2020 (voir graphique 2). Ses interventions se sont fortement accrues par rapport aux années précédentes. Le graphique 2 montre le nouveau record de 101 milliards de francs sur les seuls 3 premiers trimestres de 2020. Depuis la pandémie, le franc, qui est considéré comme une valeur refuge, a attiré des flux d’investissements que la BNS s’est efforcée d’endiguer. En proportion du PIB, le graphique 1 indique que l’équivalent de 14% du PIB de la Suisse a été mis au service de la stabilité du franc en 2020 (il s'agit du changement de niveau entre 2019 et 2020 sur le graphique 1).
Graphique 2 : Interventions de la BNS sur le marché des changes pour freiner la hausse du franc
Source : BNS
Ces achats massifs de devises étrangères par la BNS sont la version suisse de l’assouplissement monétaire ou ‘quantitative easing’ en anglais (QE). Cependant, ils ont été vivement critiqués le 17 décembre 2020 par le Département du Trésor Américain dans son rapport semi-annuel, qui accuse la Suisse de manipuler sa monnaie pour en tirer un avantage commercial indu. Nous avons vu dans un précédent article que la FED, BCE, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre assouplissent leur politique monétaire par l’achat de titres. Le mécanisme et le résultat sont similaires : les banques centrales achètent des actifs qui gonflent leur bilan, ce qui accroît les liquidités sur leur marché monétaire et assouplit les conditions monétaires.
La politique d’achat de devises par la BNS est-elle vraiment sans limite ? En théorie, il n’y a pas de limites car la BNS achète les devises grâce aux francs qu’elle a le pouvoir de créer, mais quels sont les risques ? Les devises étrangères détenues par la BNS atteignent l'équivalent de 120% de la richesse nationale produite annuellement. Ce pourcentage est à comparer à environ 20% aux Etats-Unis, 40% en zone euro et 100% pour le Japon, en proportion de de leurs PIB respectifs.
Compte tenu de l’envergure des investissements dans le bilan de la BNS, quels sont les risques et comment les contenir ? Le risque peut s’analyser sous différents angles : la volatilité des devises, les risques de moins-values sur les investissements en titres (obligations et actions) et les risques liés aux émetteurs de titres dans le bilan de la BNS. La volatilité des devises peut être forte. Selon notre calcul de sensibilité du profit de la BNS aux variations de change, une variation de 1% d’un panier de devises représentatif de l’exposition de la BNS aurait un impact de 7,7 milliards de francs sur le profit de la BNS. Pour contenir ces risques, une diversification la plus large possible des actifs est primordiale, sur un large éventail de devises, de titres obligataires et d’actions et sur le plus grand nombre d’émetteurs de qualité. Il n’empêche que des chocs imprévisibles sur le marché des changes, une crise de la dette souveraine (voir notre article à ce sujet) ou un krach boursier impactant sévèrement la BNS ne peuvent pas être totalement exclus. Consciente du risque et pour amortir un tel choc, la BNS a déjà mis en réserve 94 milliards de francs de profits antérieurs.
L’économie suisse souffre d’asphyxie à côté de l’euro et la BNS paie le prix fort pour maintenir un franc compétitif vis-à-vis de l’euro. Au cœur géographique de la zone euro, la Suisse dépend de son commerce avec l’Union européenne. En termes économiques, la BNS maintient de façon artificielle un taux de change compétitif en prenant le gros risque de gonfler la taille de son bilan, sans quoi l’effet dépressif du franc fort pèserait sur l’économie et le pays sombrerait dans la déflation. En termes politiques, cela représente le coût que la Suisse doit supporter pour s’intégrer à l’économie de la zone euro tout en restant en dehors de l’euro.
Article invité rédigé par Etienne @ EPA Finconsult, 13 janvier 2021
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