Les grandes banques centrales, la Réserve Fédérale américaine (FED) et la Banque Centrale Européenne (BCE) ont décidé en décembre d’assouplir davantage leur politique monétaire. Comme les taux sont déjà à zéro pour la FED et négatifs pour la BCE, l’effet d’une baisse des taux supplémentaire serait marginal.
L’assouplissement de la politique monétaire prend essentiellement deux formes : l’achat de titres de dette surtout gouvernementale – on parle alors d’assouplissement monétaire quantitatif dans le jargon des spécialistes ou quantitative easing (QE) en anglais - et d’un engagement à maintenir cette politique un certain temps appelé aussi guidage prospectif (forward guidance en anglais).
Pour sa part, la BCE a annoncé le 10 décembre 2020 une augmentation de l'enveloppe et de la durée de son Programme d'achats de titres d'urgence pandémique (PEPP). La taille du PEPP est augmentée de 500 milliards d'euros à un total de 1 850 milliards d'euros sur la durée du programme qui se poursuivra au moins jusqu'à fin mars 2022, soit neuf mois de plus qu'initialement prévu.
La FED de son côté a annoncé le 16 décembre qu’elle allait continuer à acheter des titres à un rythme mensuel minimum de 80 milliards de dollars pour les bons du Trésor américain et de 40 milliards de dollars pour les créances hypothécaires comme elle avait commencé à le faire depuis juin 2020. Elle a surtout donné une indication implicite de durée de sa politique en liant la fin des achats à des conditions économiques redevenues plus normales.
Pourquoi une politique monétaire non conventionnelle d’achat massif de titres de dette ?
L’assouplissement monétaire quantitatif par l’achat de titres de dette permet à la fois d’injecter des liquidités dans le système bancaire et d’influencer à la baisse les taux long terme qui sont plus difficiles à contrôler pour une banque centrale. La BCE a ainsi réussi à faire converger les taux à long terme de la dette souveraine des différents pays de la zone euro, malgré le niveau de risque hétérogène des dettes des pays membres. L’injection de liquidités se fait à proportion du montant des achats de titres et peut être observée en suivant l’évolution de la taille du bilan des banques centrales (les achats s'ajoutent au bilan, dont la taille augmente).
Le graphique ci-dessus montre clairement l’évolution des actifs des principales banques centrales et la hausse prononcée depuis mi 2020 liée à la crise Covid. Cette abondance de liquidités procure des conditions monétaires plus accommodantes. La baisse des taux à long terme est répercutée par les banques commerciales dont les crédits aux ménages et aux entreprises sont basés sur ces taux. Les banques peuvent donc plus aisément prêter et à des taux plus bas, favorisant ainsi le flux de crédits vers l'ensemble des secteurs de l'économie pour stimuler l'activité économique. Ainsi l’impact immédiat de la pandémie sur l'économie est amorti et la faiblesse de l'inflation est contenue, ce qui permet d'éviter de rentrer en déflation.
Pourquoi les banques centrales s’engagent-elles sur la poursuite de cette politique monétaire ?
En temps normal, les banques centrales pilotent et annoncent leurs décisions de politique monétaire au fil de l’eau en évitant de se lier les mains pour garder toute flexibilité. Alors pourquoi s’engagent-elles sur une politique dans les années qui viennent ?
En temps de crise, un engagement dans la durée permet de former ou de renforcer les anticipations à moyen terme que les conditions monétaires vont rester accommodantes et que les taux vont rester bas. Ce levier s’appelle le guidage prospectif. Cet effet est assez puissant car les agents économiques, banques, ménages et entreprises peuvent intégrer que les taux vont rester bas dans leurs décisions économiques. La visibilité accrue rend donc la politique monétaire plus efficace et contribue à réduire les incertitudes, à ancrer les taux à long terme sur des niveaux bas et à doper la confiance.
Le guidage prospectif peut être un engagement temporel à l’instar de la BCE qui s’est engagée à poursuivre sa politique d’assouplissement quantitatif lié à la pandémie au moins jusqu’en 2022.
Mais le guidage façon FED peut aussi être un engagement sur les données économiques c’est-à-dire un engagement à maintenir l’assouplissement quantitatif et/ou les taux bas un certain temps jusqu’à ce que les données économiques (inflation, croissance, chômage) soient conformes aux objectifs de la banque centrale. Les spécialistes estiment que le guidage prospectif de la FED renvoie à 2023 au plus tôt la possibilité d’un changement de sa politique monétaire.
Quels effets sur l’économie et sur les marchés ?
Assouplissement quantitatif et guidage prospectif, quels sont les effets de ces impulsions monétaires sur l’économie et les marchés financiers ?
Les deux canaux de transmission de la politique monétaire sur l’économie que sont les taux et les anticipations, sont assez directs au cours des mois qui suivent l’impulsion monétaire. Il y a deux canaux moins directs qui agissent aussi sur l’économie à moyen terme, celui du taux de change et celui du prix des actifs financiers.
En ce qui concerne le taux de change, les taux bas agissent directement sur l’économie réelle mais contribuent aussi à affaiblir la devise. Les investisseurs vont délaisser les devises dont les taux sont anticipés à la baisse, préférant détenir leurs avoirs sur des devises dont les taux sont plus élevés. Le différentiel de taux d’intérêt entre devises détermine la valeur relative des devises. En d’autres termes, une devise dont les anticipations de baisse de taux serait plus forte par rapport aux autres devises subirait le plus de pression à la baisse. L’effet sur l’économie réelle est une stimulation supplémentaire des exportations et un support aux secteurs exportateurs. A l’inverse, les importations seraient pénalisées et coûteraient plus cher, mais avec le contexte actuel d'inflation trop basse, l’effet haussier sur l’inflation serait acceptable.
En ce qui concerne le prix des actifs financiers, les investisseurs sont à la recherche des actifs procurant les meilleurs rendements, quitte à investir sur des actifs plus risqués. La baisse des taux valorise les actifs par le mécanisme de l’actualisation des cash-flow futurs (la valeur présente des cash-flow futurs augmente par leur actualisation à un taux plus bas, voir l'article sur la valorisation du compte Instagram de Cristiano Ronaldo pour un exemple concret).
Mais la baisse des taux contribue aussi à améliorer les perspectives de croissance et favorise les actions notamment cycliques qui sont les plus corrélées à la reprise de l’activité économique.
Cette préférence pour les actions par rapport aux autres investissements à rendement plus faible mais moins risqués indique la confiance des investisseurs et enclenche par substitution une rotation des actifs dans les portefeuilles. Ce mouvement est appelé par les économistes l’effet de substitution dans les portefeuilles. Il a été le moteur de la hausse récente du marché des actions malgré une valorisation du marché des actions parfois jugée très élevée par les analystes.
Mais la politique monétaire ne peut pas tout faire. Pour optimiser son effet, la politique monétaire doit s'accompagner d'une politique budgétaire elle aussi expansionniste. L’assouplissement budgétaire des pays de la zone euro va donc dans le bon sens, tant qu’il reste temporaire. L’Europe aussi met en place un plan paneuropéen inédit et ambitieux de relance de 750 milliards d'euros pour les pays de l'Union européenne (UE).
Cette politique monétaire agressive aussi nécessaire soit-elle n’est pas sans risque. L’augmentation rapide de la taille du bilan des banque centrales les rendent vulnérables et dépendantes du pouvoir politique (Ministère des Finances ou Trésor). Certains partis politiques notamment en Italie et en France commencent à pousser l'idée dans le débat public d’une annulation de dette, sujet explosif qui fera l’objet d’un prochain article. Nous verrons également la situation économique de la Suisse et les leviers à la disposition de la Banque Nationale Suisse.
Article invité rédigé par Etienne @ EPA Finconsult, 23 décembre 2020
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